Actualités de l'association
À l'occasion du récent décès de notre fondateur, Michel Ottet, nous republions ici, avec la permission du Courrier, un article paru il y a 10 ans en son honneur.
Le père d’Elisa passe le relais après trente ans au chevet de l’asile
ASILE • Permanent et créateur d’Elisa-Asile, une association qui se bat pour les droit des requérants depuis 1986, Michel Ottet prend sa retraite à 75 ans.
Jeudi 10 Juillet 2014, Pauline Cancela, Le Courrier
Dans le petit monde genevois de l’asile, c’est une institution qui s’en va. A 75 ans, Michel Ottet, permanent d’Elisa, passe les clés de son bébé après trente ans de bons et loyaux services. Une association de soutien juridique aux requérants d’asile, qu’il a créée en 1986, à l’époque des premiers durcissements législatifs. Mais l’heure est à la relève, que Michel Ottet veut croire engagée. Seul doute: le septuagénaire saura-t-il lâcher complètement les rênes? Pas sûr… Retour sur le parcours de ce passionné qui a plusieurs cordes à son arc.
Car au départ, rien ne destinait Michel Ottet à devenir spécialiste du droit administratif fédéral. Lui qui est né à la Croix-de-Rozon a fréquenté les bancs du «Tech» et voué sa carrière professionnelle à l’ingénierie mécanique et horlogère. Mais c’était sans compter un ancrage profond dans la communauté catholique de l’époque, via laquelle il a toujours gardé un pied auprès des plus précaires. «En tant que chrétien, on devrait avoir encore plus d’exigence à leur égard. Quand on envoie des coups de pied dans la figure de l’homme, on les envoie dans celle de Dieu. J’ai donc toujours eu ce souci de l’humain ‘divinisé’», raconte le futur ex-permanent d’Elisa.Alors, dans les années quatre-vingt, les premiers durcissements de la loi sur l’asile le conduisent naturellement à s’engager – d’autant qu’en parallèle la période dorée de l’horlogerie faiblit. Michel Ottet participe donc à la création du Groupe d’accueil des requérants d’asile avec une poignée de militants. «Il fallait absolument faire comprendre à la population ce qui était en train de se passer, soit le début d’un démantèlement progressif du droit d’asile. On planquait des personnes menacées de renvoi dans des appartements qu’on avait retapés pour des situations d’urgence», se souvient-il.
Rencontre décisive
Puis une rencontre décisive avec un professeur de droit administratif, Philippe Bois, convainc l’ingénieur et ses collègues de lancer une permanence juridique. «Il nous a conseillé de devenir mandataires des requérants, alors que nous n’y connaissions rien. Il nous a donné une formation, et cet aspect du droit est finalement assez simple. Il suffit de se baser sur des faits, rien que des faits.»Au départ, il s’agissait surtout d’information à des personnes qui venaient d’arriver à Genève. Puis l’accompagnement se professionnalise et une douzaine de bénévoles se relayent pour participer aux auditions, écrire les courriers, plancher sur des recours. Bien qu’elle vivote, l’association embauche deux salariés permanents depuis une dizaine d’années et a formé bon nombre de jeunes juristes.A force d’arpenter les couloirs de l’aéroport, des histoires, Michel Ottet en a plus d’une dans son sac à souvenirs. «Ce domaine du droit administratif est le seul qui a véritablement le pouvoir de vie et de mort sur les personnes. Notre responsabilité en tant que représentant légal est énorme, et parfois très faible. Un jour, je me suis occupé d’une dame congolaise venue avec trois petits enfants. Elle croyait le reste de sa famille morte au pays. Elle a d’abord a été déboutée, avant que, par hasard, ses deux autres enfants débarquent en Suisse, complètement traumatisés. Grâce à leurs témoignages, on a pu établir que son mari avait été emmené dans un camp avec eux, humilié, et pour finir assassiné devant ses enfants. Après trois ans et demi de procédure, toute la famille a finalement obtenu une admission provisoire et je l’ai croisée récemment au supermarché. Sans ce rebondissement elle serait retournée chez Mobutu.»
Durcissements en vue
Au fil des ans, les destins se ressemblent, mais le droit, lui, durcit. «Tout se resserre», dit celui qui a participé à lancer six référendums successifs. Et la volonté de Genève de se transformer en «hub» de renvoi et de détention administrative ne fait que confirmer ses craintes de durcissements futurs. Ce que confirme Anne-Madeleine Reinmann, permanente de l’Agora, qui travaille beaucoup en collaboration avec Elisa. «Il y a trente ans, une marge de manœuvre subsistait à Genève, un canton connu pour son côté humanitaire. Ce n’est plus le cas aujourd’hui», regrette-t-elle.A l’heure du départ de son fidèle confrère, elle salue un homme «créatif, persévérant et qui a toujours eu le chic pour trouver des solutions ingénieuses dans des situations compliquées. Je croise encore des réfugiés qui me parlent de lui aujourd’hui». Elle a bien du mal à croire que ce passionné lâche complètement la barre.L’«original» Michel Ottet, comme on le décrit souvent, n’en a d’ailleurs pas tout à fait l’intention, même s’il souhaite laisser son successeur faire son nid. De son père garde-frontière et d’une série de tragédies familiales, le retraité est trop familier de la guerre et de la souffrance pour s’arrêter en si bon chemin. Il espère relancer le réseau Exodus, un outil précieux qui regroupe aumôneries, juristes et services sociaux actifs dans les différents aéroports européens. Il n’y aura guère que la mort, à l’en croire, pour l’en empêcher.