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Consultation sur la modification de la LEI : Prise de position de l’association elisa-asile

Consultation sur la modification de la LEI : Prise de position de l’association elisa-asile

Lundi, Juillet 29, 2024

Il se tient actuellement une consultation sur la modification de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration, en particulier la modification du délai d’attente pour le regroupement familial des personnes admises à titre provisoire. Le Conseil fédéral entend modifier la LEI de sorte que le délai d’attente pour le regroupement familial des personnes admises à titre provisoire passe de trois à deux ans. elisa-asile a pris position à ce sujet, que nous publions ci-dessous :

Consultation sur la modification de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (Modifications du délai d’attente pour le regroupement familial des personnes admises à titre provisoire) : 

Prise de position de l’association elisa-asile

Monsieur le Conseiller fédéral, Mesdames et Messieurs,

L'association elisa-asile est active depuis 40 ans dans le conseil juridique aux réfugié·e·s et aux demandeur·euses d'asile, et elle a mis en place un programme spécifique pour accompagner de manière holistique les personnes qui cherchent à se réunir avec leur famille, mais qui sont confrontées à des obstacles juridiques et administratifs. Dans ce contexte, nous saisissons l'opportunité de nous exprimer sur le projet du Conseil fédéral visant à réduire à deux ans le délai d'attente légal pour le regroupement familial des personnes admises à titre provisoire.

Remarques générales

1. 

Les personnes contraintes de fuir la guerre et la violence ne reçoivent pas de statut de protection en Suisse, mais plutôt une admission provisoire, ce qui constitue un cas particulier dans le contexte européen. Les personnes admises à titre provisoire ont un besoin de protection comparable à celui des réfugié·e·s reconnu·e·s, et l'expérience montre qu'elles restent en Suisse à long terme. Malgré cela, elles sont désavantagées par rapport aux autres bénéficiaires de protection. Nous sommes en faveur d'un remplacement de l'admission provisoire par un statut de protection uniforme, offrant les mêmes droits à toutes les personnes bénéficiant d'un statut de protection et leur permettant de s'intégrer rapidement dans la société et sur le marché du travail.

2.

elisa-asile considère que les restrictions énoncées à l'article 85c de la LEI constituent une ingérence injustifiée dans le droit fondamental à une vie privée et familiale, qui est garanti par les articles 13 et 14 de la Constitution suisse (Cst) ainsi que de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), à toutes les personnes vivant en Suisse, qu'elles y soient nées, qu'elles soient victimes de persécution ciblées ou qu'elles fuient des conflits armés.Modification de l'art. 85c LEI

3.

Dans ce cadre, elisa-asile soutient la réduction du délai d'attente sujet à consultation, qui améliore la conformité aux exigences des articles 13 et 14 Cst et l'art. 8 CEDH. Toutefois, nous regrettons que le Conseil fédéral n'ait pas saisi l'occasion d'abolir complètement ce délai d'attente injustifié.

4.

Le Conseil fédéral estime, dans son rapport explicatif, que la décision de la CEDH, M.A. contre Danemark, qui rend nécessaire la modification proposée, indique qu'un délai d'attente indifférencié et strictement appliqué allant jusqu'à deux ans pour les personnes bénéficiant d'une admission provisoire est compatible avec l'article 8 de la CEDH. Il s'agit d'une lecture réductrice de l'arrêt. La CEDH a simplement déclaré qu'après deux ans, les facteurs à prendre en compte en faveur du regroupement familial deviennent de plus en plus importants (en anglais : assume greater importance in the fair-balance assessment). En même temps, la CEDH a été claire sur le fait que la marge d'appréciation des Etats n'est jamais absolue et nécessite dans tous les cas un examen sous l'angle de la proportionnalité.

5.

Le Conseil fédéral ignore également que l'arrêt qui rend nécessaire l'adaptation proposée ne concerne que les personnes qui ont obtenu un statut de protection sans reconnaissance de la qualité de réfugié. Cet arrêt ne peut donc pas être appliqué à toutes les personnes admises provisoirement qui inclut les réfugié·e·s reconnu·e·s sans asile, d'autant plus que la CEDH a souligné à plusieurs reprises que les réfugié·e·s reconnu·e·s ont droit à des conditions de regroupement familial plus généreuses que les autres étranger·ère·s et que leurs procédures doivent être traitées de manière « flexible, rapide et efficace ».

6.

L'arrêt de la CEDH qui rend nécessaire l'adaptation proposée n'implique pas non plus des enfants mineurs, qui constituent une grande partie des regroupements familiaux au sens de l'article 85c de la LEI. La CEDH a explicitement rappelé dans son arrêt que lorsque des enfants mineurs sont impliqués, les procédures doivent être traitées de manière « flexible, rapide et efficace », et ce, indépendamment du statut de réfugié·e.

7.

Les éléments mentionnés ci-dessus permettent à elisa-asile de conclure que si le législateur ne saisit pas l'opportunité de supprimer les délais d'attente inutiles, d'autres litiges devant la CEDH sont prévisibles, ce qui nécessitera de nouvelles adaptations législatives. Le Conseil fédéral a reconnu dans le rapport explicatif que le nombre de personnes qui bénéficieront à l'avenir d'un regroupement familial ne devrait pas augmenter dans l'ensemble, puisque toutes les autres conditions sont maintenues et constituent déjà un obstacle important. Dans la mesure où, comme le reconnaît le Conseil fédéral, le délai d'attente n'a pas d'influence sur les intérêts de la Suisse, le maintien de tels délais semble constituer une atteinte flagrante au droit à la vie privée et familiale, qui est garanti par les articles 13 et 14 de la Constitution fédérale et l'art. 8 CEDH.

8.

Si le législateur maintient un délai d'attente, elisa-asile estime qu'au moins le principe de proportionnalité doit être inscrit dans la loi. Il doit être précisé qu'un examen des circonstances individuelles doit être effectué dans chaque cas et il faut que chaque cas particulier soit examiné indépendamment de toute échéance.Modification de l’Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA)

9.

Le Conseil fédéral estime, selon le Rapport explicatif, qu'une adaptation de l'ordonnance n'est pas nécessaire. Il ignore ainsi que les autres conditions énumérées sous l'article 85c de la LEI posent de multiples défis à de nombreuses personnes. Bien qu'une réduction du délai d'attente permette à ceux et celles qui parviennent à s'intégrer rapidement et à devenir financièrement indépendant·e·s de se réunir plus rapidement avec leur famille, le maintien en l'état de l'OASA, spécifiquement l'article 74 al. 3, implique que les délais maximaux (« délais de regroupement »), applicables à partir de la fin du délai d'attente et donc désormais à partir de 2 ans, restent inchangés. Ainsi, le délai maximal dont disposent les personnes pour remplir les autres conditions se raccourcit en réalité. Tant que le législateur maintient les autres conditions extrêmement restrictives, il nous semble essentiel d’adapter les délais maximaux afin de donner aux personnes concernées suffisamment de temps pour remplir les critères et donc de ne pas priver les personnes ayant des difficultés d'intégration sur le marché du travail de leur droit à la famille.

10.

Le Conseil fédéral mentionne dans son rapport explicatif qu’un regroupement familial peut être autorisé avant l’expiration du délai d'attente, si, dans un cas donné, ce délai s'avère disproportionné, conformément au principe de proportionnalité, art. 5, al. 2, Cst. Le Conseil fédéral cite l’exemple d’un cas de figure où un enfant aurait besoin de soins et devrait attendre l’expiration du délai dans des conditions précaires à l’étranger. Si cela n'est pas possible au niveau législatif, cette possibilité devrait au moins être inscrite au niveau de l’Ordonnance, pour des raisons de clarté et de précision juridique.

Nous vous remercions de bien vouloir en prendre note et vous prions d'agréer, Monsieur le Conseiller fédéral, Mesdames, Messieurs, l'expression de notre considération distinguée.

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